Le frelon asiatique peut-il transmettre des préférences environnementales d’une génération à l’autre ?
Le frelon asiatique transmet-il réellement ses préférences d’habitat ?
Le frelon asiatique ne choisirait pas ses sites de nidification par hasard. Certaines observations suggèrent qu’il pourrait transmettre, d’une génération à l’autre, des préférences liées à l’environnement. Ce phénomène, mêlant mémoire collective, signaux chimiques et adaptation rapide, pose une question essentielle : apprend-il son territoire et transmet-il cet apprentissage à ses descendantes ?
Le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax) ne se contente pas de coloniser les territoires qu’il envahit : il semble également capable d’y adapter son comportement de façon étonnamment rapide. Parmi les observations de terrain, dont celle de Rémi Castagné d’ALLO FRELONS dans l’Aveyron (voir post Facebook), un phénomène intrigue de plus en plus les chercheurs et les professionnels : certaines colonies semblent choisir des environnements de nidification présentant des caractéristiques similaires, comme si une forme de préférence ou de « mémoire collective » se transmettait d’une génération à l’autre.
🐝 Trois nids de frelons asiatiques détruits à Marcillac-Vallon… et tous dans des noyers ! Une observation locale qui…
Publiée par AlloFrelons Rémi sur Vendredi 31 octobre 2025
Cette question ouvre un champ d’étude captivant, à la frontière de l’écologie comportementale et de la biologie moléculaire : le frelon asiatique apprend-il de son environnement ? Et surtout, les futures reines héritent-elles, non pas génétiquement mais comportementalement ou chimiquement, de ces préférences ?
Les hypothèses aujourd’hui envisagées vont bien au-delà du simple hasard :
- Mémoire spatiale acquise au sein du nid,
- Transmission sociale au sein de la colonie,
- Signaux chimiques liés au territoire,
- Et même modifications épigénétiques transmissibles.
Si ces mécanismes se confirment, nous assisterions — en temps réel — à l’évolution adaptative d’une espèce invasive, capable d’apprendre son milieu, de transmettre des préférences environnementales, et de structurer progressivement ses stratégies de colonisation.
Qui est Vespa velutina nigrithorax ? L’espèce invasive en quelques chiffres
Le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax), arrivé accidentellement en France en 2004, s’est établi progressivement sur 95 départements en 2023. Contrairement au frelon européen (Vespa crabro), plus grand et moins agressif, le frelon asiatique est une espèce essentiellement diurne capable de s’adapter rapidement aux environnements semi-urbains. Son cycle annuel suit un pattern très régulier : une reine fondatrice émerge de l’hibernation entre mars et avril, construit un nid primaire de petite taille (20 cm de diamètre) dans un abri proche du sol, puis la colonie en croissance déménage entre juin et septembre vers un nid secondaire d’apparence sphérique, situé à 10-25 mètres de hauteur dans les arbres.
Chaque colonie produit entre 2 000 et 10 000 individus, incluant plusieurs centaines de futures reines fécondées qui hibernent seules et peuvent revivre l’année suivante. Cette capacité reproductive, combinée à l’absence de prédateurs naturels en Europe, explique une progression estimée à 60 à 78 kilomètres par an sur le continent.
Les critères scientifiques du choix de nidification
Une stratégie de localisation complexe et multi-factorielle
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le frelon asiatique n’installe pas ses nids au hasard. La localisation du nid résulte d’une évaluation rapide de multiples facteurs écologiques que les reines fondatrices calibrent avec une précision remarquable. Les recherches montrent que le frelon asiatique recherche prioritairement des conditions qui assurent la sécurité de la colonie, l’efficacité énergétique et l’accès aux ressources.
Voici 3 nids de frelons asiatiques observés le même jour à proximité les uns des autres:



La hauteur et l’exposition : sécurité et thermorégulation
Le nid secondaire est systématiquement construit à plus de 10 mètres de hauteur, et souvent entre 15 et 25 mètres. Cette altitude offre une protection contre les prédateurs terrestres, contre les interventions humaines et réduit l’impact des perturbations au sol. Contrairement au frelon européen qui niche toujours à l’obscurité, le frelon asiatique niche en pleine lumière, en situations exposées dans la cime des arbres. Cette exposition au soleil facilite la thermorégulation du nid : l’énergie solaire est essentielle pour maintenir une température interne optimale (25-30°C) nécessaire au développement des larves.
L’ouverture latérale du nid, positionnée à mi-hauteur de la structure sphérique, est également stratégique : elle limite l’intrusion directe de l’eau de pluie tout en permettant une ventilation efficace.
La proximité de l’eau : un besoin vital souvent sous-estimé
Un facteur souvent oublié, mais crucial, est la proximité d’une source d’eau. Pour malaxer la cellulose des écorces d’arbres transformée en matériau ressemblant à du papier, le frelon a besoin d’eau. Les nids en cours de développement sont très souvent installés à proximité immédiate de points d’eau : ruisseaux, fontaines, gouttières, accumulations d’eau stagnante, ou même piscines. Certaines études suggèrent même que cette proximité hydrique pourrait constituer un indicateur clé du choix microclimatique et influencer le comportement de recherche de sites des fondatrices.
La structure du feuillage et la texture de l’écorce
Le choix de l’espèce d’arbre elle-même n’est pas neutre. Les frelons asiatiques privilégient les grands arbres matures, dotés de branches suffisamment épaisses et résistantes pour supporter la masse d’un nid pouvant atteindre 80 cm de diamètre et peser plusieurs kilogrammes en fin de saison. Les branches doivent offrir une stabilité structurelle et une protection par le feuillage dense. Des observations en France indiquent que certaines essences, comme le noyer (Juglans regia), le chêne ou les conifères, sont représentées de façon disproportionnée dans les inventaires de nids : ces arbres possèdent des caractéristiques morphologiques favorables (ramification dense, cortex stable, canopée épaisse).
L’accessibilité aux ressources alimentaires
Enfin, le nid secondaire est généralement construit à moins de 200 mètres du nid primaire, mais cette distance peut varier en fonction de la disponibilité alimentaire proximale. Le frelon asiatique est un prédateur vorace qui capture environ 85% de ses apports protéinés sous forme d’abeilles et d’autres insectes au printemps et en été. Il recherche donc des zones avec une haute concentration d’insectes butineurs. Les haies denses et fleuries, les arbres fruitiers isolés, et les plantes à floraison tardive (lierre, figuier, neflier du Japon) agissent comme des aimants alimentaires qui structurent le choix territorial.
De plus, le frelon asiatique se nourrit aussi de miellat, une substance sucrée sécrétée par les pucerons et cochenilles parasites des arbres. Les arbres fortement infestés de pucerons deviennent des sources de nectar alternatives particulièrement attractives en fin d’été. Cette dépendance au miellat pourrait expliquer l’observation de certains regroupements de nids dans des zones boisées riches en arbres producteurs de miellat, comme les forêts de chênes ou les bosquets de tilleuls.
L’exemple de Marcillac-Vallon : une observation éloquente mais qui mérite prudence
Trois nids dans des noyers : description et contexte
L’observation rapportée de trois nids de frelons asiatiques détruits à Marcillac-Vallon, tous installés dans des noyers situés à quelques centaines de mètres les uns des autres, constitue un cas d’école intéressant pour explorer les hypothèses écologiques. Cette localité de l’Aveyron, en région Occitanie, se situe dans une zone où le frelon s’est établi depuis plusieurs années. Le noyer, essence caducifoliée au feuillage caduc et aux branches épaisses bien structurées, représente effectivement un candidat favorable pour la nidification du frelon.
Pourquoi le noyer attire-t-il le frelon asiatique ?
Plusieurs hypothèses écologiques peuvent expliquer cette préférence pour les noyers. D’abord, le noyer est un arbre de grande taille et à branches bien développées, idéal pour supporter un nid volumineux en hauteur. Ensuite, le noyer est souvent entouré d’une faune arthropode riche : cet arbre fruitier peut attirer de nombreux insectes butineurs, notamment au moment de la floraison de plantes herbacées sous son ombre. De plus, le noyer produit naturellement du miellat lorsqu’il est parasité par certains insectes suceurs (psylles, cochenilles). Enfin, la structure paysagère de Marcillac-Vallon, avec ses pentes et ses microtopographies variées, crée probablement des zones de convergence de flux d’air qui favorisent l’établissement de certains arbres comme points de repère.
L’importance de la contextualisation géographique
Il est crucial de noter que l’observation de trois nids dans une même essence d’arbre et une zone restreinte n’est pas suffisante pour établir une règle générale. D’autres cas similaires sont rapportés en France (regroupements de nids dans les chênes, les tilleuls ou les platanes selon les régions), mais le manque de données harmonisées rend difficile une comparaison rigoureuse. Les observations anecdotiques, bien que précieuses, doivent être intégrées dans des programmes d’observation systématique avant de dégager des tendances fiables.
Hasard écologique ou adaptation comportementale ? Les hypothèses interprétatives
Hypothèse 1 : L’opportunité écologique locale
La première explication, la plus parcimonieuse, est celle du hasard écologique associé à l’opportunité locale. Il est possible que, à Marcillac-Vallon, les conditions favorables (proximité d’eau, disponibilité alimentaire, structure du feuillage) se trouvent regroupées par chance dans une parcelle où plusieurs noyers sont présents. Les fondatrices émergeant du sol au printemps auraient simplement sélectionné ces arbres parce qu’ils correspondaient simultanément à plusieurs critères écologiques optimaux. Dans ce scénario, il n’y a aucune communication ou apprentissage collectif entre les fondatrices : chacune aurait convergé indépendamment vers la meilleure solution disponible localement.
Hypothèse 2 : L’apprentissage maternel et la transmission comportementale
Une deuxième hypothèse, plus complexe, implique une forme de transmission comportementale entre générations. Lorsqu’une reine fondatrice construit son nid primaire au printemps dans un endroit favorable, elle va y passer plusieurs mois. Si cet emplacement offre des conditions optimales (accès à l’eau, disponibilité alimentaire, protection naturelle), les ouvrières qui éclosent progressivement vont apprendre et mémoriser les caractéristiques locales de leur environnement immédiat. Cette connaissance acquise de l’environnement, appelée « mémoire spatiale collective », peut influencer le choix du site pour le nid secondaire.
De plus, en fin d’été et en automne, des futures reines fécondées (gynes) restent en contact avec la colonie pendant plusieurs semaines avant de partir hiverner. Durant cette période, ces futures fondatrices sont exposées à l’environnement et aux conditions du territoire occupé par leur colonie mère. Bien que les mécanismes exacts restent flous, il est concevable que cette exposition précoce à un type d’habitat particulier crée une empreinte écologique (imprinting) : les gynes hibernant dans une région de noyers pourraient, l’année suivante, rechercher préférentiellement des conditions similaires au moment de choisir leur propre site de nidification.
Hypothèse 3 : Les signaux chimiques de la colonie mère
Une troisième hypothèse mobilise la communication chimique, mécanisme central chez les insectes sociaux. Le frelon asiatique communique largement par phéromones : des molécules chimiques volatiles ou non-volatiles qui régulent les comportements collectifs. Les hydrocarbures cuticulaires forment une signature chimique individuelle et coloniale que tous les membres reconnaissent. Ces signatures chimiques sont, en partie, déterminées par l’environnement et l’alimentation de la colonie.
Une colonie établie sur un territoire riche en noyers, et donc s’alimentant avec une composition nutritive particulière (proies spécifiques, miellat caractéristique), va développer une signature chimique distinctive. Les futures reines fécondées, exposées à cette signature toute leur vie larvaire et adulte, pourraient conserver une préférence olfactive pour les habitats associés à ces signaux chimiques. Lors de leur hivernation, ces reines pourraient intégrer cette information et, au printemps suivant, rechercher des sites offrant des conditions écologiques similaires capables de générer des signaux chimiques comparables.
L’hypothèse épigénétique : au-delà de la génétique
Une quatrième perspective, plus novatrice, invoque l’épigénétique : l’ensemble des mécanismes moléculaires qui règulent l’expression des gènes sans modifier leur séquence ADN. Chez les insectes comme chez tous les organismes, des facteurs environnementaux (stress, alimentation, température, exposition à des prédateurs) activent ou inhibent certains gènes au moment où les cellules se développent. Ces marquages épigénétiques peuvent être, dans certains cas, partiellement transmissibles à la génération suivante.
Il est théoriquement possible qu’une colonie établie dans un habitat stressant (par exemple, entourée de prédateurs ou d’une alimentation faible) développe une réponse épigénétique adaptative. Les larves et les futures reines qui naissent dans cet environnement pourraient acquérir un profil de marquage épigénétique spécifique qui les prédispose, lors de l’hibernation et du démarrage du nid primaire l’année suivante, à rechercher des conditions écologiquement similaires. Cette forme d’hérédité ne passe pas par les gènes eux-mêmes, mais par des « étiquettes chimiques » qui contrôlent leur utilisation.
L’adaptation rapide des espèces invasives : le contexte évolutif
Darwin Express : quand l’évolution s’accélère
Les documentaires scientifiques récents, notamment la série Darwin Express (Arte, 2025), ont mis en lumière un phénomène stupéfiant : l’évolution rapide est possible et observable dans nos paysages actuels. Des exemples spectaculaires illustrent cette réalité : les crapauds buffles introduits en Australie en 1935 ont développé, en seulement 80 générations, des pattes postérieures significativement plus longues et une endurance supérieure pour coloniser les territoires désertiques. Les petits poissons d’eau douce (épinoches) déplacés expérimentalement d’un habitat à un autre ont changé de morphologie et de comportement alimentaire en trois décennies seulement.
Ces adaptations rapides ne résultent pas d’une accumulation de mutations génétiques, qui sont trop rares pour expliquer de tels changements en si peu de générations. Au lieu de cela, les espèces invasives mobilisent une boîte à outils évolutive que tous les organismes possèdent : la plasticité phénotypique, la sélection naturelle forte et l’épigénétique.
Plasticité phénotypique : l’ajustement sans mutation génétique
La plasticité phénotypique est la capacité d’un individu à modifier son apparence physique ou son comportement en fonction de l’environnement, sans altérer son ADN. Un frelon asiatique fondatrice, confrontée à un climat plus froid qu’en Asie, va naturellement réduire sa période d’activité de vol, adapter la forme de son nid primaire pour mieux le protéger du froid, ou chercher des proies différentes selon la disponibilité saisonnière. Ces ajustements comportementaux et physiologiques sont quasi-instantanés à l’échelle d’une génération.
Cette plasticité est particulièrement efficace chez les espèces invasives car elle permet une colonisation extrêmement rapide de nouveaux milieux sans attendre l’accumulation de mutations génétiques favorables. Le frelon asiatique, depuis son arrivée en France il y a 20 ans, s’est remarquablement adapté aux conditions tempérées, à la disponibilité alimentaire européenne, et aux structures paysagères semi-urbaines.
Adaptation comportementale : apprentissage en temps réel
Chez les insectes sociaux comme le frelon asiatique, l’adaptation comportementale collective est particulièrement intéressante. Les ouvrières ne naissent pas avec des « instructions » complètes gravées dans leurs gènes : elles apprennent localement comment se comporter dans leur environnement spécifique. Cette transmission de savoir n’est pas génétique, mais épigénétique ou sociale.
Des études sur les drosophiles (mouches du fruit) ont montré que ces insectes peuvent transmettre des préférences comportementales d’une génération à l’autre par simple observation et imitation, en l’absence de modification génétique. Il n’est pas déraisonnable de supposer que le frelon asiatique, beaucoup plus complexe socialement et disposant de colonies multi-générationnelles vivant ensemble, possède des capacités de transmission comportementale comparables ou supérieures.
Épigénétique et transmission transgénérationnelle : le rôle des marqueurs chimiques
Les mécanismes moléculaires en jeu
L’épigénétique repose sur des mécanismes chimiques concrets : la méthylation de l’ADN et les modifications des histones (protéines autour desquelles s’enroule l’ADN). Ces marquages chimiques agissent comme des « interrupteurs » qui disent au gène « sois actif » ou « sois silencieux ». Contrairement aux mutations génétiques qui sont irréversibles, ces marqueurs épigénétiques sont dynamiques et réversibles : ils changent en réponse aux conditions environnementales.
Un exemple frappant vient des escargots aquatiques : exposés en laboratoire à une menace de prédateur (des molécules d’alarme), ils développent en une semaine une coquille significativement plus épaisse et renforcée. Cette transformation morphologique n’est pas due à de nouveaux gènes, mais à l’activation épigénétique de gènes responsables de la calcification. L’aspect remarquable ? Leurs descendants, nés dans un environnement sans prédateur, conservent une coquille anormalement épaisse pendant une ou deux générations. Les marqueurs épigénétiques acquis par les parents s’héritent partiellement, guidant le développement des enfants même en l’absence de la menace initiale.
Application au frelon asiatique
Appliquée au frelon asiatique, cette logique épigénétique suggère un scénario fascinant : une colonie établie dans des noyers à Marcillac-Vallon accumule progressivement une connaissance collective de ce microhabitat par des mécanismes à la fois comportementaux (mémoire spatiale, communication chimique) et moléculaires (marquage épigénétique des gènes de préférence d’habitat). Les futures reines fécondées, nées et développées dans cet environnement spécifique, héritent partiellement de ce profil épigénétique adapté aux noyers.
L’année suivante, ces reines fondatrices, en quête de sites pour leur nid primaire, explorent leurs alentours avec une sensibilité accrue aux indices associés aux noyers : forme des branches, odeurs du feuillage, composition des insectes présents, profil chimique du miellat. Cette préférence acquise n’est pas innée, mais elle augmente la probabilité qu’elles choisissent des sites similaires au territoire parental.
Conséquences écologiques et pratiques pour les territoires
Implications pour les apiculteurs
Si le frelon asiatique développe vraiment des préférences microclimatiques associées à certains types d’arbres ou de micro-habitats, cette découverte aurait des implications stratégiques majeures pour les apiculteurs. L’observation de regroupements de nids suggère que la prédiction spatiale pourrait devenir plus précise. En cartographiant systématiquement les essences d’arbres abritant des nids de frelon, il serait possible d’anticiper les risques et de renforcer la surveillance dans les zones à risque élevé.
De plus, connaître les préférences d’habitat du frelon ouvre la porte à des stratégies de prévention proactive : aménagement du paysage apicole (espacement des ruches par rapport aux noyers, diversification des essences forestières proches des ruchers) et mise en place de pièges préventifs dans les zones à haute probabilité de nidification.
Pour les collectivités locales : vers une surveillance adaptive
Les programmes de science participative existants, comme VespaWatch (plateforme suisse) ou Agiir (France), reposent sur le signalement citoyen de nids individuels. Si des patterns de nidification peuvent être identifiés (régularité du choix des arbres, agrégation spatiale), les collectivités pourraient optimiser leur surveillance territoriale. Au lieu d’une approche uniformément distribuée, la lutte pourrait se concentrer sur les zones « attractives » identifiées par les nids précédents.
Cette approche datadriven nécessiterait cependant l’harmonisation des données de signalement, l’enregistrement des essences d’arbres et des caractéristiques écologiques du site pour chaque nid détruit. Actuellement, ces informations manquent largement au niveau national.
Pour la recherche : le besoin de programmes systématiques
L’observation intéressante de Marcillac-Vallon illustre à quel point les données fragmentées limitent notre compréhension. Pour progresser, il faudrait des programmes d’étude à long terme, coordonnés au niveau national ou régional, enregistrant :
- L’espèce d’arbre de chaque nid détruits
- Les caractéristiques microclimatiques (exposition, proximité d’eau, types de plantes adjacentes)
- La localisation géographique précise (coordonnées GPS)
- Le contexte écologique (habitat urbain, périurbain, forestier ; paysage agricole)
- Les dates d’observation (pour corréler avec la phénologie locale)
De telles données pourraient être collectées via des réseaux d’observateurs citoyens formés, comme l’expérience suisse avec frelonasiatique.ch. L’analyse statistique spatiale révèlerait si certaines essences d’arbres ou configurations écologiques accueillent disproportionnément plus de nids, et si des agrégations spatiales existent de manière significative ou si elles relèvent du hasard.
Conclusion : une évolution en temps réel dans nos paysages
La question posée par l’observation de trois nids de frelons asiatiques installés dans des noyers à Marcillac-Vallon ne peut recevoir une réponse définitive avec les connaissances actuelles. Pourtant, elle ouvre une fenêtre extraordinaire sur un processus d’adaptation en cours : nous assistons possiblement à l’évolution écologique et comportementale rapide d’une espèce invasive littéralement sous nos yeux.
Les mécanismes connus de choix de site de nidification (hauteur, exposition, proximité d’eau, structure du feuillage, disponibilité alimentaire) sont suffisamment robustes pour expliquer certains regroupements. Cependant, les hypothèses d’apprentissage maternel, de transmission comportementale et d’épigénétique transgénérationnelle offrent des explications complémentaires fascinantes. Ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives : elles pourraient agir simultanément et synergiquement pour créer des préférences d’habitat demi-innées chez les fondatrices de nouvelles générations.
Ce qui est certain, c’est que les observations locales, comme celle de Marcillac-Vallon, sont précieuses. Elles doivent cependant être replacées dans une démarche scientifique rigoureuse, intégrées dans des programmes d’observation participative harmonisés, et analysées statistiquement avant de dégager des conclusions fiables. Le frelon asiatique ne cessera pas de nous surprendre par sa capacité à s’adapter et à coloniser de nouveaux territoires. C’est justement à cette capacité adaptative remarquable que nous devons accorder notre attention la plus soutenue.
Sources citées :
Les informations présentées ici s’appuient sur des ressources scientifiques, institutionnelles et de terrain : études du Muséum national d’histoire naturelle français, publications de chercheurs de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (CNRS-Université de Tours), documentaires scientifiques (Darwin Express, Arte), programmes de surveillance participative (VespaWatch, Agiir), et observations de praticiens en gestion des espèces invasives et en lutte raisonnée.
Dernière modification le novembre 4, 2025 par Castagné Guillaume
