La chasse traditionnelle aux guêpes à la Réunion

Rod lo gèp (la chasse des nids de guêpes, en créole réunionnais), est une tradition populaire qui se transmet de génération en génération.

Immersion dans le culture réunionnaise, pour découvrir cette activité traditionnelle classée au patrimoine immatériel de la Réunion.

À l’approche de la fin de la saison, les chasseurs de guêpes papetières, que l’on appelle les rodeurs de guêpes, s’affairent pour dénicher les précieux nids avant Pâques (période du Carême). Cette pratique ancestrale est plus qu’un simple loisir, elle est aussi un moyen de se procurer un revenu en vendant les larves capturées. Découvrons ensemble avec Nicolas et Stéphane, comment se déroule une partie de chasse traditionnelle et les conseils des experts pour préserver cette activité, qui n’est pas règlementée par la loi, mais néanmoins classée à l’UNESCO au titre des “connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers”.

image 2 - La chasse traditionnelle aux guêpes à la Réunion
Nid de guêpes de la Réunion

Ces deux passionnés sillonnent l’île depuis plus de 20 ans à la recherche des nids. Leur technique simple consiste à marcher lentement et à regarder attentivement même s’ils déplorent une disparition progressive des colonies.

Lontan, navé un tas guêpes. Koméla, na pi comme avant.

Nicolas, chasseur de guêpes à la Réunion

Le rod lo gèp est traditionnellement réservé aux hommes, ainsi que la préparation des larves en friture, kari ou rougay. Les femmes préparent le reste du repas et la famille et les amis se retrouvent pour déguster ce caviar réunionnais. Les enfant, garçons ou filles avant l’adolescence, participent souvent aux sorties de rod.

Une saison de chasse limitée dans le temps

La pratique est courante dans toute l’île, que ce soit en basse ou en moyenne altitude. Elle se déroule dans divers environnements tels que les zones urbaines, les forêts, les ravines, les falaises et même dans les cirques.

Du fait de l’utilisation importante de pesticides en agriculture et en milieu urbain, les guêpes deviennent de plus en plus rares. le réchauffement climatique change également les zones de ponte de cet insecte.

Il est donc essentiel de profiter des quelques semaines de chasse pour récolter un maximum de nids. En général, la saison de chasse aux guêpes s’étend de la fin février/début mars jusqu’au début avril, traditionnellement pendant la période du Carême chrétien. Les chasseurs passionnés sillonnent alors les sentiers des forêts, ravins et champs de canne à sucre, espérant trouver des nids à vendre ou à savourer.

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Polistes olivaceus, la guêpe à papier de la Réunion

On retrouve cette guêpe (Polistes olivaceus) à l’Ile Maurice, à Madagascar, à Rodrigues et La Réunion.

Trouver les nids, un travail minutieux

  • Nichées dans les arbres ou suspendues à des cannes, les guêpes sont parfois difficiles à repérer, d’où l’importance du savoir-faire des chasseurs expérimentés.
  • Selon Nicolas, chasseur aguerri, “il ne faut pas seulement chercher, il faut aussi regarder attentivement” pour découvrir les nids.
  • Stéphane, un autre chasseur expérimenté, explique qu’en réalité, il faut suivre l’abeille reine qui se dirige directement vers son nid. “Elle sait où elle va et nous guide”, affirme-t-il.

En fin de compte, i fo suiv’ la guêpe mère, parské i sava direct au nid

Stéphane, chasseur de guêpes à la Réunion

Des techniques ancestrales pour préserver les guêpes et leur habitat

Pour déloger les guêpes de leurs nids sans les blesser ni les tuer, les chasseurs traditionnels utilisent des méthodes éprouvées depuis des générations :

  • Nicolas recommande d’utiliser un morceau de bois de choka, allumé et fumant, pour faire sortir les guêpes sans avoir besoin d’insecticides. Les bons chasseurs ne tuent pas les guêpes adultes afin de leur permettre de refaire un nouveau nid pour s’y reproduire.
  • Une fois dérangées par la fumée, les guêpes s’éloignent donc et refont un nid ailleurs, préservant ainsi leur population et leur milieu naturel.
  • Les chasseurs insistent sur le respect de cette méthode pour limiter l’impact environnemental de la chasse et éviter que les guêpes ne deviennent encore plus rares.

Savoir préserver les ressources pour garantir l’avenir

Conscients du potentiel lucratif de leur activité – la capture ou plusieurs nids de guêpes peuvent se vendre pour des centaines d’euros (entre 200 et 250€ parfois) -, les chasseurs traditionnels veillent à préserver au mieux les ressources dont ils tirent profit. “La chasse aux guêpes rapporte de l’argent”, constatent-ils. C’est pourquoi il est essentiel de limiter les prélèvements et de respecter leur environnement, afin que cette activité puisse perdurer pour les générations futures.

image 1 - La chasse traditionnelle aux guêpes à la Réunion

Conseils pratiques pour une chasse en toute sécurité

La chasse aux guêpes n’est pas sans risque, notamment dans les zones reculées où l’accès peut être difficile. Les chasseurs expérimentés partagent ainsi quelques recommandations :

  • Ne jamais partir seul, car en cas d’accident ou de problème, la présence d’un coéquipier peut être vitale pour porter secours.
  • Faire preuve de prudence lors du délogement des guêpes, qui peuvent se montrer agressives si elles se sentent menacées.
  • Toujours utiliser un équipement approprié (vêtements protecteurs, gants, lunettes, etc.) pour éviter les piqûres et autres blessures éventuelles.

I fo pa alé rode guêpes tout seul, parské si la ariv’ à ou un nafér dan’ rempart, lé pa bon, kissa i sa trappe aou, i vo mieux out camarade lé là

Stéphane, rodèr lo gèp (chasseur de guêpes)

En suivant ces conseils et en adoptant des pratiques respectueuses de l’environnement, la chasse traditionnelle aux guêpes peut perdurer et continuer à être une source de revenus et de plaisirs gustatifs pour les passionnés.

Qui s’intéresse à cette chasse aux guêpes?

Les chercheurs occasionnels de guêpes représentent une part importante de la population. Cette activité se pratique lors de pique-niques ou simplement pour enlever un nid dans sa cour ou son jardin. Cette catégorie comprend des consommateurs, des acheteurs et parfois même des vendeurs.

Les vendeurs contribuent à cette pratique en la rendant plus visible et en la reliant au milieu urbain grâce à leurs ventes le long des routes ou à destination des restaurateurs qui souhaitent satisfaire une clientèle locale ou en visite sur l’île.

Les consommateurs forment la catégorie la plus importante, car elle concerne de nombreuses familles réunionnaises. Les larves de guêpes sont consommées en famille, entre amis, le plus souvent à domicile et également dans certains restaurants proposant une cuisine créole. Certains achètent même des larves congelées faute de pouvoir les chasser ou les acheter fraîches.

Les restaurateurs trouvent un intérêt particulier à proposer des larves de guêpes dans leur menu, car cela offre un plat apprécié et emblématique, évoquant des souvenirs d’enfance, entre autres. Certains vont même jusqu’à proposer des larves de guêpes importées de Madagascar et/ou d’Asie du Sud-Est (Vietnam). Ce plat est souvent l’un des plus chers sur la carte des menus des restaurants (aux alentours de 35 €).

Des traditions similaires dans d’autres pays

Sur l’Île Maurice, la chasse aux guêpe n’est pas très pratiquée

Cette pratique semble récente et encore peu répandue (observation faite lors de l’enquête en 2021) sur l’île Maurice. Les guêpes sont appelées « moutouk ». Quelques petits groupes de chasseurs réunionnais s’y rendent en vacances pour les traquer.

A Madagascar, les larves sont exportées vers La Réunion

À Madagascar, les nids de guêpes sont également recherchés. Les larves sont consommées localement mais surtout collectées pour être vendues à des Réunionnais sur place ou de passage, et exportées congelées vers La Réunion où elles sont disponibles dans les supermarchés.

Sur l’Île Rodrigues, ce sont les réunionnais qui chassent les guêpes

Les guêpes sont présentes à Rodrigues mais ne semblent pas être consommées par les habitants. Ce sont les chasseurs réunionnais qui s’y rendent pour pratiquer la chasse sur place et rapporter les nids chez eux.

Asie du Sud et de l’Est. Les larves sont également consommées

Les larves de guêpes polistes sont consommées et vendues dans leurs nids sur les marchés asiatiques (Chine, Inde, Japon). Peu d’informations sont disponibles sur les activités associées à cette pratique, comme la recherche dans la nature ou l’élevage.

En Amérique Centrale, les guêpes sont traditionnellement consommées

Au Mexique, le miel produit à partir du nectar de fleurs et du miellat d’Homoptères (pucerons), ainsi que le couvain de certaines espèces de polistes, sont consommés. Dans le village de Cherán (Michoacán), les guêpes à miel (uauapu) font l’objet d’une grande manifestation rituelle et festive qui célèbre la nature et ses ressources.

Et pour partir à la chasse avec Aldo, regardez cette vidéo (et en Créole s’il vous plaît 😉 )

Last Updated on mars 27, 2024 by Castagné Guillaume

Publié par Castagné Guillaume

Désinsectiseur spécialisé en guêpes et frelons depuis 2006. Depuis bientôt 20 ans, Guillaume apporte son analyse d'expert sur tous les sujets liés aux nuisibles

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