Historique de l’invasion du frelon asiatique en Europe
Depuis son introduction accidentelle en France en 2004, le frelon asiatique (Vespa velutina nigrithorax) a mené une conquête fulgurante du territoire européen, devenant l’un des exemples les plus emblématiques d’espèces exotiques envahissantes sur le continent. Cette expansion spectaculaire, caractérisée par une progression moyenne de 78 à 100 kilomètres par an, a transformé le paysage écologique de l’Europe occidentale en deux décennies seulement.
Originaire d’Asie et arrivé par un enchaînement fortuit d’événements, ce prédateur d’abeilles menace aujourd’hui la biodiversité, l’apiculture et l’équilibre des écosystèmes dans plus d’une dizaine de pays européens. L’histoire de cette invasion révèle non seulement les mécanismes de dispersion d’une espèce invasive, mais aussi les défis considérables posés par la mondialisation des échanges commerciaux et le rôle des activités humaines dans la propagation accidentelle d’organismes nuisibles.

Origine géographique et introduction accidentelle en France
Les racines asiatiques de Vespa velutina nigrithorax
Le frelon asiatique est une espèce native d’Asie dont l’aire de répartition naturelle s’étend du nord de l’Inde et de l’Afghanistan jusqu’à l’est de la Chine, englobant également la péninsule indochinoise et l’archipel indonésien. Dans ces régions d’origine, Vespa velutina évolue dans des climats tropicaux à continentaux, où il s’est adapté à une grande variété d’environnements montagneux et de zones de hautes terres. Les conditions climatiques de ces territoires asiatiques sont comparables à celles du sud de l’Europe, ce qui a facilité l’acclimatation remarquable de l’espèce une fois introduite sur le continent européen.
Des analyses génétiques approfondies menées par des équipes scientifiques françaises, chinoises et coréennes ont permis de localiser avec précision l’origine géographique de la population invasive européenne. En comparant les séquences d’ADN mitochondrial et les marqueurs microsatellites de 170 frelons asiatiques prélevés en France et dans la zone d’origine asiatique, les chercheurs ont déterminé que la sous-espèce introduite en Europe provient d’une région spécifique située entre les provinces chinoises du Zhejiang et du Jiangsu, dans l’est de la Chine. Cette zone englobe notamment la métropole de Shanghai et la ville de Yixing, internationalement reconnue pour sa production de poteries en céramique.
L’hypothèse de l’importation de poteries chinoises
L’introduction du frelon asiatique en France est attribuée à un événement d’importation accidentel survenu avant 2004, impliquant des conteneurs de poteries chinoises. Selon l’hypothèse la plus probable, confirmée par les analyses génétiques ultérieures, une ou plusieurs reines fondatrices auraient hiverné dans des cartons de céramiques importés de la région de Yixing via le port du Havre. Un producteur de bonsaïs de la région du Lot-et-Garonne, qui importait régulièrement des poteries chinoises depuis plusieurs années, aurait involontairement introduit l’espèce en déballant sa marchandise.
C’est en 2004 que les premiers individus ont été observés à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne, marquant ainsi la première apparition documentée du frelon asiatique sur le sol européen. Cependant, la détermination formelle de l’espèce n’a été réalisée qu’en novembre 2005, suite à un prélèvement effectué sur un fruit de kaki dans la commune de Nérac. Cette identification officielle a confirmé la présence de Vespa velutina nigrithorax, faisant de cette découverte la première introduction accidentelle d’une espèce de frelon en France et en Europe.
Une origine génétique unique : le phénomène d’une seule fondatrice
La découverte d’une lignée maternelle unique
L’un des aspects les plus remarquables de l’invasion du frelon asiatique en Europe réside dans son origine génétique extraordinairement restreinte. Des études scientifiques publiées dans la revue Biological Invasions ont démontré que l’ensemble de la population européenne, comptant aujourd’hui potentiellement plusieurs millions d’individus, descendrait d’une seule reine fécondée arrivée de Chine il y a environ vingt ans. Cette hypothèse, initialement jugée inimaginable, a été confirmée par l’analyse de l’ADN mitochondrial de frelons prélevés dans toute l’Europe.
En examinant les marqueurs génétiques transmis uniquement par la mère, les chercheurs ont constaté que tous les individus présents dans l’Hexagone possédaient exactement la même séquence d’ADN mitochondrial. Cette uniformité génétique témoigne d’un événement d’introduction unique, contredisant les scénarios impliquant plusieurs introductions multiples depuis l’Asie. Des analyses complémentaires menées en Irlande en 2021, utilisant deux gènes supplémentaires plus sensibles pour détecter les variations génétiques, sont parvenues aux mêmes conclusions, renforçant ainsi la théorie du fondateur unique.
Le rôle salvateur de la polyandrie
Malgré cette extrême pauvreté en diversité génétique maternelle, qui aurait normalement dû condamner la population à l’extinction par consanguinité, le frelon asiatique a réussi son invasion grâce à un facteur biologique crucial : la polyandrie. Les analyses ont révélé que la reine fondatrice avait été fécondée par trois ou quatre mâles différents avant son arrivée en Europe. Ce comportement reproducteur, plutôt rare chez les frelons, a permis d’introduire une diversité génétique paternelle suffisante pour offrir à la descendance un patrimoine génétique varié.
Cette diversité génétique paternelle, révélée par la présence de plusieurs lignées paternelles dans la majorité des nids analysés en France, a renforcé les capacités d’adaptation de l’espèce vis-à-vis de son nouvel environnement colonisé. Les scientifiques ont ainsi identifié un phénomène compensatoire remarquable : bien que tous les frelons asiatiques européens partagent la même lignée maternelle, l’accouplement multiple de la reine fondatrice a créé une variabilité génétique suffisante pour permettre l’adaptation rapide aux conditions européennes et contribuer ainsi au succès fulgurant de l’invasion.
Les conséquences de la faible diversité génétique
Paradoxalement, cette faible diversité génétique comporte également des faiblesses biologiques qui pourraient, à terme, limiter l’expansion de l’espèce. Des recherches menées à l’université de Tours ont mis en évidence un phénomène de dépression de consanguinité lié à l’introduction initiale d’un faible nombre de reines en France. En analysant plusieurs colonies collectées entre 2012 et 2014, les chercheurs ont observé que 68% des colonies produisaient des mâles précoces lors de la première période de développement, alors que seules des ouvrières devraient normalement être présentes.
Cette production anormale de mâles diploïdes, directement liée à la perte de diversité génétique, pourrait avoir des conséquences importantes sur la dynamique des populations. Les mâles ne participant pas aux activités de la colonie, leur production précoce à la place d’ouvrières pourrait ralentir la croissance des colonies et, à long terme, limiter l’expansion de cette espèce invasive. Cet élément représente une faiblesse potentielle exploitable dans les stratégies de lutte biologique, puisque tous les individus issus de la même lignée génétique pourraient théoriquement être ciblés par des méthodes de contrôle identiques.
Expansion fulgurante sur le territoire français (2004-2025)
Les premières années : colonisation du Sud-Ouest (2004-2006)
L’expansion du frelon asiatique sur le territoire français a été remarquablement rapide dès les premières années suivant son introduction. En 2004, seuls trois nids ont été recensés dans un unique département, le Lot-et-Garonne. L’année suivante, en 2005, cinq nids ont été signalés dans deux départements, marquant le début d’une progression géographique qui allait s’accélérer de manière exponentielle. Fin 2006, le frelon asiatique était déjà largement présent en Aquitaine, notamment dans les départements de Lot-et-Garonne, Gironde et Dordogne, avec 223 nids répertoriés dans 13 départements du Sud-Ouest de la France.
Cette implantation initiale a bénéficié de conditions climatiques particulièrement favorables dans la région aquitaine. Les températures douces et l’humidité relative élevée de cette zone, comparables à celles rencontrées dans les régions montagneuses d’origine en Chine, ont permis au frelon de s’acclimater rapidement. L’espèce a profité de l’absence totale de prédateurs naturels et de compétiteurs pour établir solidement ses premières colonies, transformant le Sud-Ouest en véritable foyer d’invasion.
Accélération de la colonisation (2007-2010)
Entre 2007 et 2010, l’expansion du frelon asiatique s’est considérablement accélérée, suivant un modèle de progression radiale depuis le foyer initial aquitain. En 2007, 1 613 nids ont été dénombrés dans 21 départements, avec des signalements atteignant désormais l’Hérault, l’Aveyron, le Cantal, la Haute-Vienne et la Charente-Maritime. Une observation isolée a même été rapportée en Côte-d’Or, à 300 kilomètres du front d’invasion, suggérant déjà un rôle des transports humains dans la dispersion à longue distance.
L’année 2008 a vu une légère diminution apparente du nombre de nids recensés (1 234 dans 24 départements), probablement due à des sous-déclarations plutôt qu’à un ralentissement réel de l’invasion. En 2009, 1 637 nids ont été signalés dans 32 départements, couvrant environ 190 000 km² du territoire français. Un nid a été détruit au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis, démontrant la capacité de l’espèce à établir des colonies même en milieu urbain dense. En 2010, sept nouveaux départements ont été envahis, incluant les Côtes-d’Armor, le Loir-et-Cher, la Loire-Atlantique, la Mayenne, les Pyrénées-Orientales et la Sarthe, marquant l’entrée du frelon dans les régions du nord-ouest et de la façade méditerranéenne.
Consolidation et densification (2011-2015)
La période 2011-2015 a été marquée par une consolidation géographique de l’invasion, avec une densification progressive des populations dans les départements déjà colonisés. En 2011, la première observation en Ardèche et dans l’Allier a été rapportée, suivie en 2014 par l’apparition en Isère, et en 2015 par le signalement dans le Rhône. Cette progression vers l’est et le nord-est du pays s’est accompagnée d’une augmentation considérable de la densité des nids dans les départements initialement touchés.
Des données détaillées issues du suivi régional en Pays de la Loire illustrent cette dynamique de densification : en Vendée, le frelon asiatique est apparu en 2008, puis sa présence a été relevée dans les cinq départements de la région. Le nombre de nids recensés a connu une croissance exponentielle, passant de quelques dizaines dans les premières années à plusieurs centaines au milieu de la décennie. En Gironde, département parmi les plus infestés, 440 nids ont été enregistrés en 2009, dont 329 dans la seule commune urbaine de Bordeaux, témoignant de l’adaptation remarquable de l’espèce aux environnements urbains.
Une analyse des sites de nidification basée sur 4 107 nids correctement géolocalisés entre 2007 et 2009 a révélé une répartition préférentielle : environ 49% des nids étaient installés en zone urbaine ou périurbaine, 43% en milieu agricole, seulement 7% en milieu forestier et 1% en milieux humides. Cette distribution spatiale souligne la grande plasticité écologique du frelon asiatique et sa capacité à exploiter les ressources des paysages anthropisés.
Couverture quasi-totale du territoire métropolitain (2016-2025)
À partir de 2016, le frelon asiatique était présent sur environ 50% du territoire métropolitain français, avec une nette prédominance dans la moitié sud-ouest. La progression s’est ensuite poursuivie vers le nord et l’est, atteignant progressivement des régions auparavant épargnées. En 2016, Lyon et Lille ont enregistré leurs premières observations de frelons asiatiques. La cartographie régulièrement mise à jour par le Muséum national d’Histoire naturelle via l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) montre une expansion continue, avec un front d’invasion progressant de manière relativement régulière à raison de 78 à 100 kilomètres par an.
En 2025, le frelon asiatique est désormais présent dans toute la France métropolitaine continentale, incluant les régions les plus septentrionales du pays. L’espèce a colonisé la quasi-totalité des départements français, transformant le paysage écologique national. Le dernier territoire français métropolitain à être colonisé a été la Corse, où le premier nid a été découvert et détruit à Bastelicaccia le 29 août 2024, marquant une étape symbolique dans la conquête totale du territoire français par cette espèce invasive.
Cette présence généralisée s’accompagne d’une densité variable selon les régions, avec des zones de très forte infestation dans le Sud-Ouest, l’Ouest et certaines vallées du sud-est, tandis que les régions montagneuses et les zones les plus septentrionales présentent encore des densités relativement plus faibles. Toutefois, le changement climatique et l’allongement des étés pourraient favoriser une densification future même dans ces régions actuellement moins touchées.
Conquête de l’Europe : une invasion transfrontalière (2010-2025)
Péninsule Ibérique : Espagne et Portugal (2010-2013)
La dispersion du frelon asiatique au-delà des frontières françaises a commencé dès 2010 avec l’apparition des premiers nids en Espagne. L’espèce a rapidement colonisé les régions septentrionales de la péninsule Ibérique, particulièrement le Pays basque et la Galice, bénéficiant d’un climat océanique favorable comparable à celui du sud-ouest de la France. En 2013, le frelon asiatique a atteint le Portugal, complétant ainsi la colonisation de l’ensemble de la façade atlantique européenne.
La progression dans la péninsule Ibérique a suivi un modèle d’expansion similaire à celui observé en France, avec une vitesse de propagation comprise entre 75 et 100 kilomètres par an. Les autorités espagnoles et portugaises ont observé des schémas de colonisation proches de ceux enregistrés en France, avec une densification progressive des populations dans les zones initialement envahies. Aujourd’hui, le frelon asiatique est présent dans une grande partie du nord de l’Espagne et du Portugal, exerçant une pression importante sur les populations d’abeilles ibériques et la biodiversité locale.
Europe occidentale : Belgique, Italie et Allemagne (2011-2014)
L’expansion vers le nord et l’est de l’Europe s’est poursuivie entre 2011 et 2014. La Belgique a enregistré ses premiers signalements de frelons asiatiques en 2011 en Wallonie, suivie par la Flandre en 2016. L’espèce s’est rapidement établie dans les régions belges, profitant du climat tempéré océanique et de la proximité avec les populations françaises. En Italie, les premières observations datent de 2014, avec une colonisation progressive du nord du pays et des régions méditerranéennes.
L’Allemagne a également été touchée en 2014, avec des signalements dans les régions occidentales proches de la frontière française. La progression en Allemagne s’est avérée plus lente qu’anticipé, probablement en raison de conditions climatiques légèrement moins favorables et de la présence de reliefs naturels ralentissant la dispersion naturelle. Néanmoins, l’espèce continue d’étendre son aire de répartition allemande, particulièrement dans les vallées rhénanes et les zones de basse altitude.
Europe du Nord-Ouest : Royaume-Uni et Pays-Bas (2016-2023)
L’arrivée du frelon asiatique au Royaume-Uni en 2016 a marqué un tournant dans l’histoire de l’invasion, démontrant la capacité de l’espèce à franchir des barrières maritimes grâce au transport humain. En juillet 2016, un premier nid a été découvert et détruit sur l’île d’Alderney, dans l’archipel anglo-normand. En août 2016, un spécimen a été photographié dans le Gloucestershire, au sud-ouest de l’Angleterre, marquant la première observation confirmée sur l’île de Grande-Bretagne.
Depuis 2017, des individus et des nids ont été signalés annuellement dans le sud de l’Angleterre, principalement dans les comtés méridionaux. Bien que l’espèce ne soit pas encore considérée comme pleinement établie au Royaume-Uni, la récurrence des observations et la découverte régulière de nids témoignent d’une colonisation progressive. Les autorités britanniques ont mis en place un système de surveillance intensive et de destruction systématique des nids découverts pour tenter de ralentir l’établissement permanent de l’espèce.
Les Pays-Bas ont également connu leurs premières détections de reines fondatrices dans plusieurs provinces néerlandaises, rapportées par la plateforme Stop Invasieve Exoten en 2023. Ces signalements, bien que moins nombreux qu’en France ou en Belgique, indiquent une progression continue vers le nord de l’Europe. L’Irlande a enregistré son premier frelon asiatique en avril 2021 à Dublin, bien qu’aucune colonie établie n’ait été détectée à ce jour.
Suisse et expansion alpine (2017-2025)
La Suisse a détecté ses premiers frelons asiatiques en 2017 dans le canton du Jura, marquant l’entrée de l’espèce dans les régions alpines. À partir de 2019, des signalements ont été enregistrés dans les cantons de Genève, Vaud et Fribourg, puis en 2022 dans d’autres cantons le long de la chaîne du Jura. L’année 2023 a représenté une explosion de l’invasion en Suisse, avec 1 399 cas confirmés et plus de 200 nids découverts, contre seulement trois nids en 2022.
Le canton de Genève, situé à proximité de la frontière française, a été particulièrement touché avec 111 nids découverts en 2023. Cette progression fulgurante témoigne d’une dynamique exponentielle similaire à celle observée dans d’autres pays européens. En 2024, le nombre de frelons asiatiques a triplé par rapport à l’année précédente, atteignant 3 829 cas confirmés, soulignant l’accélération continue de l’invasion suisse. La Suisse suit désormais le même schéma d’expansion que l’Espagne ou le Portugal, avec une augmentation exponentielle des nids au fil du temps.
Le rôle déterminant du transport humain
Plusieurs études scientifiques ont démontré que l’expansion géographique du frelon asiatique ne s’explique pas uniquement par ses capacités de vol naturelles, mais résulte largement des activités de transport humain. Des modélisations mathématiques publiées dans International Journal of Pest Management en 2018 ont confirmé que le développement du territoire colonisé est directement lié aux déplacements humains, incluant le transport de marchandises, le tourisme et les flux commerciaux.
Des observations précises ont corroboré cette hypothèse : le frelon asiatique a été détecté sur l’île de Majorque en Méditerranée, dans plusieurs îles britanniques et récemment en Hongrie près des frontières autrichiennes et slovaques, des localisations qu’il n’aurait jamais pu atteindre uniquement par vol naturel. Ces introductions à longue distance, facilitées par le transport involontaire de reines hibernantes dans les marchandises, expliquent pourquoi certaines régions éloignées du front d’invasion principal ont soudainement enregistré des observations.

Impact écologique et apicole de l’invasion
Prédation intensive sur les abeilles domestiques
Le frelon asiatique exerce une prédation intense sur les abeilles domestiques (Apis mellifera), constituant une menace majeure pour l’apiculture européenne. Son mode opératoire est particulièrement redoutable : il se positionne en vol stationnaire devant les ruches, un comportement caractéristique souvent appelé « vol en Saint-Esprit », et capture les abeilles butineuses au retour de leurs sorties. Les ouvrières de Vespa velutina attrapent les abeilles en plein vol avec une efficacité remarquable, les décapitent puis ramènent le thorax riche en protéines au nid pour nourrir les larves.
La consommation d’abeilles par les colonies de frelons asiatiques est considérable. Une colonie peut consommer environ 12 kilogrammes d’insectes par an, dont près de 40% d’abeilles, ce qui équivaut approximativement au poids de quatre essaims d’abeilles complets. Cette prédation s’intensifie particulièrement durant l’été et l’automne, périodes pendant lesquelles la colonie d’abeilles se réduit naturellement tandis que celle du frelon atteint son apogée. Les ruches isolées et celles situées en zone urbaine sont particulièrement vulnérables à ces attaques.
Stress comportemental et perturbations des colonies
Au-delà de la prédation directe, la simple présence persistante de frelons asiatiques devant les ruches génère un stress intense pour les colonies d’abeilles. Les abeilles, craignant d’être capturées, réduisent drastiquement leurs sorties de butinage, limitant ainsi leur collecte de pollen et de nectar nécessaires à la survie de la colonie, notamment pour passer l’hiver. Cette perturbation comportementale peut s’avérer aussi dévastatrice que la prédation elle-même, conduisant à un affaiblissement progressif de la colonie et, dans les cas extrêmes, à sa mort par famine durant la saison hivernale.
Les conséquences économiques pour les apiculteurs sont importantes, incluant la disparition de colonies entières, une baisse significative des récoltes de miel, la nécessité de reconstituer les cheptels et un surcroît de travail considérable pour tenter de protéger les ruches. Des études récentes estiment le coût économique du frelon asiatique en France à près de 100 millions d’euros par an, témoignant de l’ampleur de l’impact sur la filière apicole nationale. Cette situation a conduit les autorités françaises à classer le frelon asiatique dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique par arrêté du 26 décembre 2012.
Menace pour la biodiversité et les pollinisateurs
L’impact du frelon asiatique sur la biodiversité dépasse largement le seul enjeu apicole. En tant que prédateur généraliste, il s’attaque à une grande diversité d’insectes incluant les guêpes, les mouches, les papillons et même les araignées. Cette prédation extensive perturbe les chaînes alimentaires locales et contribue au déclin des populations de pollinisateurs sauvages tels que les bourdons et autres hyménoptères solitaires. La diminution de ces pollinisateurs essentiels a des répercussions directes sur la pollinisation des plantes sauvages et des cultures agricoles, affectant ainsi la reproduction végétale et la production alimentaire.
Le frelon asiatique est officiellement classé parmi les espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne depuis juillet 2016. En France, il figure également comme facteur majeur de la perte de biodiversité à l’échelle mondiale. Sa prolifération déséquilibre les écosystèmes en impactant non seulement les insectes pollinisateurs mais aussi d’autres invertébrés et potentiellement certains petits vertébrés, entraînant une perturbation généralisée des réseaux trophiques. L’expansion de l’espèce risque de s’accélérer avec les changements climatiques, notamment en moyenne montagne où des conditions auparavant limitantes deviennent progressivement favorables.
Cadre réglementaire et moyens de lutte
Reconnaissance institutionnelle et classements officiels
La reconnaissance du caractère invasif et nuisible du frelon asiatique a conduit à l‘adoption de plusieurs textes réglementaires au niveau national et européen. En France, l’arrêté du 26 décembre 2012 a classé Vespa velutina nigrithorax dans la liste des dangers sanitaires de deuxième catégorie pour l’abeille domestique Apis mellifera sur tout le territoire français. Ce classement confère une reconnaissance officielle au prédateur et permet à l’autorité administrative de définir des actions de surveillance, de prévention et de lutte.
Un second arrêté du 22 janvier 2013 a interdit l’introduction du frelon asiatique sur le territoire national. Au niveau européen, le frelon asiatique figure dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne, adoptée le 13 juillet 2016 par le règlement d’exécution (UE) 2016/1141. Ce règlement, conforme aux dispositions du règlement (UE) n°1143/2014 du Parlement européen, vise à prévenir, réduire et atténuer les effets néfastes sur la biodiversité de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes.
Cette liste européenne, complétée en 2017, 2019 et juillet 2022, compte désormais 88 espèces dont 47 animales, incluant le frelon à pattes jaunes. Les espèces préoccupantes pour l’Union sont interdites d’importation, de transport, de commercialisation, d’utilisation, de culture et d’introduction dans l’environnement. Au niveau national français, le code de l’environnement prévoit des mesures permettant d’agir contre les espèces exotiques envahissantes, autorisant les préfets à ordonner des actions de destruction sur des propriétés privées, bien qu’aucune précision ne soit apportée sur leur financement.
Stratégies de destruction des nids
La destruction des nids constitue la méthode de lutte la plus efficace contre le frelon asiatique, à condition d’être réalisée rapidement et selon des protocoles précis. Les nids primaires, construits par les reines fondatrices au printemps, sont souvent abrités et situés à moins de 5 mètres de hauteur, facilitant leur repérage et leur destruction. L’intervention doit idéalement se faire de nuit lorsque tous les individus sont à l’intérieur, et viser prioritairement la destruction de la reine fondatrice pour empêcher la reconstitution d’une nouvelle colonie.
Les nids secondaires, construits par les ouvrières et pouvant atteindre jusqu’à 80 centimètres de diamètre et abriter plusieurs milliers d’individus, nécessitent une intervention professionnelle. La destruction s’effectue généralement à l’aide de perches télescopiques injectant des produits biocides directement dans le nid. Des techniques alternatives de destruction mécanique par enveloppement ou aspiration sont également utilisables pour les nids situés à faible hauteur. C’est notamment ce que prône ALLO FRELONS, quand c’est possible. L’utilisation de fusils ou de paintballs est proscrite en raison de la diffusion importante de biocides dans l’environnement et de l’inefficacité de ces méthodes.
Une destruction mal exécutée peut s’avérer contre-productive : une fondatrice non détruite lors de l’intervention sera amenée à recréer un nouveau nid, entraînant en moyenne la construction de quatre nouveaux nids dans un rayon de 100 mètres dans les 15 jours suivants. C’est pourquoi seules les entreprises dûment équipées et formées sont recommandées pour procéder aux interventions. Le coût de la destruction d’un nid varie généralement entre 80 et 170 euros pour les interventions au sol, mais peut être nettement majoré si l’accès est difficile ou nécessite l’intervention d’une nacelle.
Piégeage : efficacité et controverses
Le piégeage des frelons asiatiques fait l’objet de débats importants au sein de la communauté scientifique et des gestionnaires. Le piégeage préventif des reines fondatrices au printemps (de mars à avril) est généralement déconseillé par les experts en raison de son inefficacité démontrée et de ses impacts négatifs sur d’autres espèces d’insectes non ciblées. De nombreuses fondatrices meurent naturellement de causes diverses (gel, prédateurs) ou sont éliminées par compétition entre reines tentant de s’approprier les nids embryonnaires. Les opérations de piégeage printanier massif réalisées dans des cas similaires se sont systématiquement conclues par un échec.
En revanche, le piégeage sélectif aux abords des ruchers, durant la période de prédation active de juin à octobre-novembre, peut constituer un outil de protection locale efficace. Dans ce contexte, le piège ne vise pas à contrôler les populations à l’échelle d’un territoire mais à réduire la pression de prédation sur des colonies d’abeilles spécifiques. Les pièges dits « nasses » sont privilégiés, avec un rechargement régulier de l’appât tous les 15 jours pour maintenir leur attractivité. Une fois piégé, un frelon émet un signal de détresse qui contribue à l’efficacité du dispositif en attirant d’autres congénères.
Des recherches prometteuses sur l’utilisation de phéromones sexuelles du frelon asiatique, identifiées dans le cadre d’un partenariat franco-chinois, montrent que ces appâts phéromonaux pourraient attirer de nombreux mâles durant la période de reproduction (septembre à novembre) et les éloigner des futures reines à l’origine de nouvelles colonies. Cette approche, encore en phase de développement, pourrait constituer une voie de lutte biologique plus sélective et respectueuse de la biodiversité que les méthodes actuelles.
Perspectives et défis pour l’avenir
L’éradication totale du frelon asiatique en Europe est désormais considérée comme impossible en raison de sa forte capacité d’expansion et de son installation généralisée. La stratégie actuelle privilégie donc la limitation des populations et la protection des zones sensibles plutôt qu’une élimination complète. Un plan national de lutte contre le frelon asiatique à pattes jaunes, porté par GDS France et FREDON France (fédérations nationales des organismes sanitaires), a été mis en place pour coordonner les actions à l’échelle nationale.
L’adoption en juillet 2025 par la Commission européenne d’une nouvelle mise à jour de la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union témoigne d’une prise de conscience continue au niveau continental. Toutefois, les défis demeurent considérables : le financement des opérations de destruction reste flou, les protocoles d’intervention varient selon les territoires, et la coordination transfrontalière nécessaire pour une gestion efficace à l’échelle européenne reste perfectible.
Certaines voix politiques s’élèvent désormais pour réclamer un changement de statut du frelon asiatique, passant de danger sanitaire de deuxième catégorie à première catégorie, permettant ainsi une lutte obligatoire sur l’ensemble du territoire national avec des moyens financiers dédiés. La question du maintien de ce classement et de son évolution reste au cœur des débats, d’autant que la progression de l’espèce vers le nord de la France et les régions auparavant épargnées soulève de nouvelles inquiétudes.
Conclusion
L’histoire de l’invasion du frelon asiatique en Europe constitue un cas d’école illustrant les conséquences potentiellement dévastatrices d’une introduction accidentelle d’espèce exotique. En deux décennies seulement, depuis son arrivée fortuite dans un conteneur de poteries chinoises en 2004, Vespa velutina nigrithorax a colonisé l’ensemble du territoire français et s’est implanté dans plus d’une dizaine de pays européens. Cette expansion fulgurante, favorisée par l’absence de prédateurs naturels, des conditions climatiques propices et surtout par les activités de transport humain, a transformé le frelon asiatique en l’une des espèces exotiques envahissantes les plus problématiques du continent.
L’origine génétique unique de la population européenne, descendant d’une seule reine fécondée, représente un phénomène biologique remarquable qui souligne à la fois la vulnérabilité et la résilience de cette espèce invasive. Si cette faible diversité génétique pourrait théoriquement constituer une faiblesse exploitable pour le développement de stratégies de lutte biologique, elle n’a pas empêché jusqu’à présent le succès spectaculaire de l’invasion. L’impact écologique du frelon asiatique sur les populations d’abeilles domestiques et de pollinisateurs sauvages, combiné aux conséquences économiques pour l’apiculture évaluées à près de 100 millions d’euros annuels en France, justifie pleinement son classement comme espèce exotique envahissante préoccupante au niveau européen.
Face à cette invasion désormais irréversible, les défis pour l’avenir portent sur l’optimisation des méthodes de gestion, l’amélioration de la coordination transfrontalière et le développement de techniques de lutte sélectives respectueuses de la biodiversité. L’histoire du frelon asiatique en Europe demeure également un avertissement solennel sur les risques associés à la mondialisation des échanges commerciaux et la nécessité d’une vigilance accrue pour prévenir de futures introductions d’espèces invasives aux conséquences potentiellement catastrophiques pour nos écosystèmes.
Dernière modification le novembre 12, 2025 par Castagné Guillaume

Incroyable de voir comment un petit insecte peut causer tant de dégâts! Restons motivés pour protéger notre biodiversité ensemble!
Guillaume, ton article est fascinant ! Les détails sur l’impact écologique m’ont captivée. Continuons à partager nos passions pour sensibiliser plus de gens !